VDA – Réforme (bi-/plurilingue) de l’école (6)

Acte final

Sortir du silence. Il le faut. Le silence est protecteur : la parole coute. Elle coute d’autant plus par ces temps où elle est brimée, censurée, vilipendée. Ou tout simplement, et c’est peut-être pire encore, non écoutée.

C’est de mon devoir d’écrire ce billet pour les Valdôtains peu nombreux qui peuvent lire ce blog, pour mes collègues enseignant(e)s, pour les jeunes élèves, plus généralement pour ma région. En défense du français aussi.

Les Adaptations des programmes nationaux (dorénavant, Adaptations) ont été approuvées et sont actuellement « expérimentées » dans les premières classes de chaque niveau scolaire.

A la demande du groupe minoritaire (ALPE et Movimento Cinque Stelle), que je remercie ici pour la confiance qu’il a eue en moi, j’ai été nommée par le Conseil Régional parmi les représentants de la Commission mixte État-Région selon ce qui est prévu par l’article 40 du Statut spécial d’autonomie.

Par déontologie, je ne relaterai pas les paroles des autres représentants et présents. Par devoir de transparence, j’expliciterai la mienne.

Après la description du processus par les représentants institutionnels :

  • j’ai informé les représentants ministériels qu’il y avait un grand mécontentement des écoles et des enseignants par rapport au contenu, aux processus et aux temps de ces Adaptations des programmes nationaux et que deux représentants syndicaux  ne participaient pas à cette commission par protestation et pour ne pas être complices de la décision finale ;
  • j’ai demandé s’il n’était pas possible, ayant tant attendu après les dernières Adaptations (33 ans après la réforme bilingue de l’école maternelle, 28 ans après celle de l’école primaire et 22 après celle de l’école secondaire du premier degré !), de se donner le temps pour créer le consensus auprès des établissements scolaires et des enseignants et plus largement de la société valdôtaine; mon argument était que l’on ne réussit pas une réforme de cette envergure contre l’école et ses acteurs et sans informer de ses enjeux la société valdôtaine ;
  • j’ai rappelé que l’Institut Régional de Recherche Éducative (IRRE-VDA) s’était attelé à cette tâche en 2006 (dix ans auparavant !) après les Indicazioni nazionali de la Ministre Moratti de 20o3/2004 à la demande de l’Assesseur de l’Éducation et de la Culture de l’époque ; j’ai expliqué que de nombreuses et riches réflexions élaborées avec les acteurs du terrain et soutenues par les apports d’experts qualifiés avaient été produites et que la question du temps nécessaire à construire un consensus à travers un débat social ouvert avait été soulevée, mais non prise en compte par le décideur ; l’IRRE-VDA entendait justement éviter un bricolage rapide, superficiel et non consensuel des Adaptations ;
  • j’ai exprimé ma déception face à l’absence de principes partagés, de références scientifiques communes, de cohérence verticale,  de progessivité dans la complexification et aussi la nécessaire diversification des propositions curriculaires pour les différents niveaux scolaires : c’était là une occasion en or pour repenser verticalement l’ensemble de l’éducation bi-/plurilingue – conçue pour chaque niveau  à des époques différentes – et lui donner, enfin, l’indispensable  continuité et une cohérence globale, y compris dans les ruptures ; par contre, le document final des Adaptations ressemble fort à un collage de travaux dont des rédacteurs différents n’auraient jamais discuté ensemble ni partagé leurs points de vue ;
  • j’ai questionné la place de l’autonomie scolaire laissée aux établissements par ces Adaptations puisque tout est largement décidé, prescrit et fixé par elles : j’ai dénoncé le risque de réponses simples et simplistes à des problèmes et des situations complexes, car, en voulant régler la question de la quantité de langue enseignée, question tout à fait légitime, ces Adaptations vident l’autonomie scolaire de ses potentialités créatrices ;
  • j’ai pu souligner que certaines décisions politiques sont hasardeuses, pour ne pas dire simplement dangereuses par rapport à la sauvegarde de la langue française qui, tout en gardant le 50% du temps d’enseignement, est réduit aux matières littéraires et sociales, notamment à l’histoire − avec des arguments passéistes et localistes − le privant ainsi de certains domaines disciplinaires de première importance comme les mathématiques, les sciences et la technologie, dont certaines sont en partie confiées … à l’anglais ;
  • j’ai soulevé le problème de l’italien sur lequel aucune réflexion explicite n’a été menée dans le cadre de la politique linguistique plurilingue, comme le demandait le Profil de la politique linguistique éducative  (cf. site http://www.coe.int/lang, par. 6.4) du Conseil de l’Europe, pourtant demandé et signé par l’Assesseur de l’Éducation et de la Culture de l’époque;
  • j’ai dénoncé le fait que ces adaptations n’abordent pas la question de la prise en charge des répertoires des élèves (allophones et non), notamment locuteurs de francoprovençal, de walser, de dialectes italiens et de (variétés des) langues de l’immigration et j’ai demandé pourquoi cela n’avait pas été fait étant donné les chiffres alarmants de l’échec scolaire produit par le système éducatif valdôtain (cf. la recherche de l’association Mixidées, Scuola e dintorni – Indizi di malessere, 2016); pour le francoprovençal, j’ai déclaré mon étonnement par rapport au fait que, suite à l’engagement de l’Assesseur précédent en faveur de cette langue, toutes les initiatives qu’il avait mises sur pied (et qui doivent avoir énormément couté) n’étaient même pas mentionnées dans ces Adaptations comme possibilités formatives ;
  • j’ai montré comment pour ces Adaptations, malgré le Profil de la politique linguistique éducative du Conseil de l’Europe, ce sont les politiques utilitaristes de l’Union Européenne et la vision berlusconienne des langues qui ont été adoptées de par la place considérable accordée à l’anglais, y compris par le choix des domaines qui lui sont confiés au dépens du français; à ce propos, puisqu’on a accusé le système éducatif valdôtain de faire semblant de donner une éducation bilingue en  italien et en français à ses élèves, j’ai suggéré que le risque était beaucoup plus grand, vu les compétences en anglais de certains enseignants et l’opposition de la plupart d’entre eux à cette réforme, que l’on arrive à faire semblant à l’avenir de donner une éducation trilingue ;
  • j’ai fait remarquer que ces Adaptations sont des programmes de langues, novateurs autant que l’on veut, mais qu’elles oblitèrent complètement la dimension « construction des connaissances disciplinaires» dans deux langues, effaçant ainsi le long chemin parcouru et l’évolution de la réflexion locale − menée de façon avant-gardiste − par rapport à cette thématique ; ceci représente un recul formidable par rapport aux avancées actuelles de la recherche internationale dans le domaine de l’éducation bilingue ; sans l’attention que requiert la construction bilingue, a fortiori trilingue, des connaissances, cette réforme se fera au détriment des élèves, surtout des plus faibles d’entre eux ;
  • j’ai attiré l’attention sur le fait que ces Adaptations récupèrent des principes contestés actuellement par la recherche scientifique dans le domaine de l’enseignement bilingue, tel qu’« une personne – une langue» ou « une demi-journée dans une langue, une demi-journée dans l’autre » : c’est la preuve que ces Adaptations n’ont pas profité d’un arrière-plan solide de réflexion théorique et scientifique dans le domaine de l’enseignement des disciplines en plusieurs langues ;
  • j’ai demandé pourquoi ces Adaptations ont fait tabula rasa de tous les acquis antérieurs de trois niveaux scolaires (école enfantine, école primaire, école secondaire du premier degré) et du savoir qui avait été élaboré concernant l’alternance des langues, réduite par ces Adaptations aux moments de difficulté d’expression, alors qu’elle était précédemment conçue et utilisée en vue d’une meilleure construction des connaissances ;
  • j’ai interrogé l’engouement peu compréhensible pour la méthodologie EMILE (enseignement d’une matière intégrée à une langue étrangère) (pardon : CLIL, Content and Language Integrated Learning) quand nous disposions d’un corpus de réflexions méthodologiques en provenance du terrain, fondées scientifiquement et élaborées par les enseignants en collaborations avec des experts méthodologues et linguistes ;
  • j’ai donné enfin ma disponibilité à travailler sur ce texte des Adaptations en vue de la prise en compte de tous ces problèmes.
  • Trop tard désormais.
  • J’ai donc voté contre ces Adaptations.

J’ai apprécié le fait d’avoir pu exprimer, dans un climat de respect sinon d’écoute, grand nombre des doutes que ces Adaptations ont soulevées chez moi. Malheureusement, cela a été simplement inutile et inefficace.

Ces Adaptations restent, à mon avis, une grande occasion manquée pour nos élèves, futurs citoyens du Val d’Aoste, pour la langue française, pour notre système scolaire et, en fin de comptes, pour notre société.

Maintenant le pouvoir est dans les mains des enseignants, des chefs d’établissements, mais je dirais plus largement de la société valdôtaine à laquelle devrait revenir toute décision ultime de politique linguistique.

Ces Adaptations sont, en effet, expérimentales pendant les années 2017 et 2018. Ce qui signifie qu’elles pourraient subir des changements et, il faut l’espérer, des améliorations.

Il serait grand temps que les Valdôtains se réveillent.

NB : Une réflexion supplémentaire (sur la continuité) a été ajoutée à ce billet le 19/02/2017.

 

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