Tôt ou tard il aurait fallu le faire. Mieux vaut tôt, sans doute.
L’urgence de cette « sortie du placard » m’est apparue quand c’est une copine des temps du lycée, de sa profession psychologue (ou « strizzacervelli », selon une expression italienne que j’aime bien), qui m’a demandé : « Perché mai scrivi il tuo blog in italiano? Sei italiana, tu!! ».
Fait avéré, un bilingue est toujours appelé à justifier le choix d’une langue de son répertoire. Pourquoi donc, dans quelles circonstances, dans quels domaines et avec qui se sert-il d’une langue – plutôt que d’une autre – pour s’exprimer?
Dans mon cas précis, pourquoi le français pour ce blog? Commençons par les arguments les plus simples et les plus évidents : l’internet est un espace sans frontières où, pour échanger et se faire entendre-lire par le plus grand nombre, le choix d’une langue de grande diffusion s’impose. La langue de mon répertoire me permettant cela en production écrite est le français. S’y ajoute le fait que le français est la langue que j’utilise le plus souvent quotidiennement pour mes études, mes lectures, mes écrits et mes interactions professionnelles. Pour remonter un peu plus loin, c’est la langue dans laquelle je me suis spécialisée à l’Université et que j’ai essayé d’enseigner à tant d’élèves.
Par rapport au contexte italien, le choix de cette langue peut être interprété de façons très diverses : délaissement, opposition, refus de la langue italienne, haute trahison … Que j’aie un mal fou à me reconnaître pleinement dans ce que ce pays est actuellement et dans les choix électoraux et politiques de son peuple, je n’ai aucun mal à l’admettre. Certes, prise de distance de ma part.
Mais forte solidarité aussi par rapport à la partie saine de la société civile italienne, qui existe, celle qui est encore capable de penser, de s’indigner et de s’engager. Par rapport à cette dernière, j’assumerais volontiers un rôle de porte-parole, à ma façon, au moyen du français langue internationale, vers l’extérieur et, inversement, vers l’intérieur, un rôle de médiatrice sur les thèmes qui m’intéressent. Tout spécialement envers les enseignants (et professionnels) de langues et, en particulier, ceux d’entre eux, qui, enseignant le français, ont été punis par une politique linguistique éducative, qui a mis l’école italienne au tout-à-l’anglais, contre toute orientation et, surtout, logique européenne.
Par rapport au contexte local où je vis – et dans lequel j’espère trouver des lecteurs et des lectrices attentifs/ves, répondant(e)s et discutant(e)s, à qui mes réflexions sont également destinées – mon choix du français est triplement connoté :
- le simple fait que je m’en serve me place du côté de ceux qui défendent cette langue : j’assume pleinement ce côté militant en faveur du français au Val d’Aoste dans une optique plurilingue et interculturelle ;
- mais le fait que je m’en serve de la façon dont je le fais me place dans le camp de ceux qui s’opposent de façon très critique à une politique linguistique régionale que je juge, pour ma part, largement insuffisante ;
- enfin, en faisant cela en français, je me distingue nettement de ceux dont l’opposition ne se fait pas contre la politique linguistique mais contre la langue en tant que telle, c’est-à-dire contre le français au Val d’Aoste tout court.
J’ajoute, enfin, à tout ceci une note personnelle : bizarrement c’est en français que je suis le plus en sécurité linguistique, où je me sens plus libre, y compris, paradoxalement, de m’exprimer de façon non orthodoxe et non normative.
A question complexe, réponse complexe : j’ai évoqué des espaces (régional, national, international, internet, sans compter mon for intérieur), dans chacun d’eux des destinataires et, par rapport à ces derniers, des intentions de communication, mais, à travers tout cela, j’ai également parlé des diverses identités que j’assume et je construis.
Une partie de mes identités, car je n’ai parlé que d’une partie de mon répertoire linguistique …