La langue des disciplines (3) – Les genres de discours

Au sujet de la langue des disciplines scolaires, j’ai déjà, dans un premier temps, développé des argumentations à propos de la nécessité d’en faire l’objet d’une réflexion didactique autour de certaines dimensions (Les dimensions à prendre en compte); j’ai proposé, dans un deuxième temps, une conception des disciplines qui a cours actuellement et qui semble particulièrement porteuse (Les disciplines comme communautés de pratique).

Il est temps, maintenant, d’aborder ce qui constitue, langagièrement et discursivement, ces disciplines.

Chaque discipline scolaire s’appuie – pour la construction des connaissances disciplinaires – sur des genres de discours – oraux et écrits – qui la caractérisent. L’histoire, les sciences naturelles ou les mathématiques n’utilisent pas (ou pas toujours, selon les disciplines) les mêmes genres de discours.

Assumer le genre de discours comme unité d’analyse de la langue permet d’envisager – dans un tout premier temps – la langue des disciplines de manière holistique, globale et, de la sorte, de la rendre perceptible et significative pour les enseignants et pour les élèves.

Dans son projet Langues dans l’Éducation – Langue pour l’Éducation, l’Unité des Politiques Linguistiques du Conseil de l’Europe a adopté récemment la définition suivante de « genre de discours »  (Beacco et alii, 2010: 10):

la notion de genre de discours ne concerne pas uniquement la littérature (roman, théâtre, poésie) mais elle sert à définir des catégories spécifiques de textes, quels qu’ils soient, que l’on peut décrire du point de vue linguistique, comme caractérisées par une structure et des réalisations verbales, plus ou moins ritualisées et contraintes. Cette production verbale tend à se conformer aux « règles » qui, plus ou moins strictes et nombreuses, caractérisent aussi bien les contenus que les structures ou la forme verbale des textes (par exemple : utilisation de je, nous…).

[…]

Ces formes prises par la communication, telle qu’elle s’effectue dans une communauté de
pratiques donnée, sont identifiables comme telles par des paramètres comme le « lieu » où
elles sont produites (congrès, cours magistral, pages scientifique d’un quotidien du matin…),
les participants (qui écrit, écoute, lit …), le support (oral, écrit…)… Les genres de discours
sont généralement identifiés par un nom, d’origine non scientifique le plus souvent, faisant
partie du lexique ordinaire : une conférence, un résumé, un traité, un fait-divers, une
anecdote, une dispute, un catalogue d’exposition, une prière, une conversation…

A côté des genres de discours on rencontre des termes plus abstraits comme narration,
description, injonction/instruction, exposition, explication, argumentation…. Cette dernière
classification n’a jamais véritablement été en mesure de décrire des catégories de textes
puisqu’on reconnaît facilement qu’un texte concret répond simultanément, le plus souvent, à
plusieurs types. Mais cette catégorisation, de niveau analytique inférieur à celle de genre
conserve tout son intérêt pour décrire ceux-ci.

Dans la description de la langue des disciplines, nous avons déjà ainsi repérés deux niveaux d’analyse: les genres de discours et les séquences internes à ceux-ci définies par leur fonction (narration, description, …).

Pour qu’un travail sur la langue des disciplines devienne plus opérationnel, il importe, tout d’abord, de repérer tous les genres de discours qui sont utilisés en classe pour construire les connaissances disciplinaires. Ces genres de discours peuvent être écrits ou oraux et ils peuvent provenir des communautés de pratiques où les connaissances s’élaborent ou bien d’autres communautés de pratiques qui se chargent de leur vulgarisation auprès du grand public ou bien encore – et plus fréquemment dans l’institution scolaire – d’instances qui se chargent de la transposition didactique des savoirs scientifiques à des fins d’enseignement.

Toutefois, s’arrêter à ce niveau d’analyse ne permet pas de définir de façon concrète le travail qu’il s’agit de faire avec les élèves sur la langue, c’est-à-dire sur les activités concrètes à mettre en œuvre pour qu’ils comprennent d’abord cette langue et qu’ils se l’approprient. Atteindre des niveaux de plus en plus raffinés et de plus en plus « micro » permet de toucher jusqu’aux éléments minimaux de la grammaire en passant par la structure des discours, le type de séquences qui les composent, la syntaxe, les tournures typiquement utilisées dans chaque discipline, le lexique spécialisé, les connecteurs, les formes langagières que prennent les opérations cognitives propres à chaque discipline …

Ce travail systématique d’analyse n’existe pas encore, ou pas encore pour toutes les disciplines : ces travaux ne sont pas encore assez répandus ni assez connus quand ils existent. De nombreux travaux de recherche et, mieux encore, de recherche-action entre enseignants et chercheurs (spécialistes des disciplines et des méthodologies de leur enseignement et linguistes) sont nécessaires pour que l’on puisse disposer de descriptions opérationnelles qui permettent aux enseignants des disciplines de facilement assumer les dimensions langagières et discursives des matières qu’ils enseignent. C’est, en partie, la raison pour laquelle ces dimensions ne font que très rarement l’objet d’enseignement dans les formations initiales ou continues des enseignants, que ces deniers, n’y ayant pas été sensibilisés ni formés, les ignorent généralement et que, surtout, les ignorant, ils ne sont pas à même d’y préparer convenablement leurs élèves.

Il existe toutefois des ouvrages et des réflexions qui peuvent être utiles pour tout enseignant qui aurait envie de s’engager dans cette voie.

Cinq études du Conseil de l’Europe peuvent donner une idée du type d’analyse qu’il s’agit de conduire et du travail qu’il s’agit de faire en classe autour de ces dimensions. La première étude constitue une sorte de « protocole » transversal à différentes disciplines, puisqu’elle propose:

une démarche générale permettant de caractériser par des catégories transversales différents niveaux de spécification de ces dimensions langagières. Il s’agit de décrire le cheminement qui, à partir d’unités d’analyse d’usages effectifs, aboutit à des identifications de formes et de fonctionnements linguistiques appropriés à ces usages (Beacco et alii : 2010, 5).

Les quatre autres études appliquent cette démarche à un certain nombre de disciplines (l’histoire, les sciences, la littérature et les mathématiques).

Beacco, J.-C., Coste, D. van de Ven, P.H. et Vollmer, H. (2010) : Langues et matières scolaires – Dimensions linguistiques de la construction des connaissances dans les curriculums, Strasbourg, Conseil de l’Europe.

  • Version anglaise: Language and school subjects – Linguistic dimensions of knowledge building in school curricula.
  • Version italienne: Lingua e discipline scolastiche – Dimensioni linguistiche nella costruzione delle conoscenze nei curricoli.

 Beacco, J.-C., (2010) : Histoire: Une démarche et des points de référenceEléments pour une description des compétences linguistiques en langue de scolarisation nécessaires à l’enseignement / apprentissage de l’histoire (fin de la scolarité obligatoire), Strasbourg, Conseil de l’Europe.

  • Version anglaise : History: An approach with reference points – Items for a description of linguistic competence in the language of schooling necessary for teaching/learning history (end of compulsory education).

Vollmer, H. (2010) : Sciences: Une démarche et des points de référence – Éléments pour une description des compétences linguistiques en langue de scolarisation nécessaires à l’enseignement / apprentissage des sciences (fin de la scolarité obligatoire), Strasbourg, Conseil de l’Europe.

  • Version anglaise : Sciences: An approach with reference points – Items for a description of linguistic competence in the language of schooling necessary for teaching/learning science (at the end of compulsory education).
  • Version italienne: Scienze: Elementi per una descrizione delle competenze linguistiche nella lingua di scolarizzazione necessarie all’insegnamento/apprendimento delle scienze alla fine della scuola dell’obbligo.

Pieper, I. (2011) : Litérature: Une démarche et des points de référence – Eléments pour une description des compétences linguistiques en langue de scolarisation nécessaires à l’enseignement / apprentissage de la litérature (fin de la scolarité obligatoire), Strasbourg, Conseil de l’Europe.

  • Version anglaise : Literature: An approach with reference points – Items for a description of linguistic competence in the language of schooling necessary for teaching/learning literature (at the end of compulsory education).

 Linneweber-Lammerskitten. H. (2012) : Mathématiques: Une démarche et des points de référence – Eléments pour une description des compétences linguistiques en langue de scolarisation nécessaires à l’enseignement / apprentissage des mathématiques (fin de la scolarité obligatoire), Strasbourg, Conseil de l’Europe.

  • Version anglaise : Mathematics: An approach with reference points – Items for a description of linguistic competence in the language of schooling necessary for teaching/learning mathematics (in secondary education), Strasbourg, Conseil de l’Europe.

Cf. aussi : Vollmer, H. (2009) : Langue(s) des autres matières, Strasbourg, Conseil de l’Europe.

  • Version anglaise : Language(s) in other subjects.

NB: Toutes ces études sont téléchargeables en cliquant ici.

Pour des approfondissements théoriques concernant les séquences internes aux genres discursifs, cf.:

BRONCKART, J.-P. (1985) : Le fonctionnement des discours – Un modèle psychologique et une méthode d’analyse, Neuchâtel – Paris, Delachaux et Niestlé.

BRONCKART, J.-P. (1996) : Activité langagière, textes et discours – Pour un interactionisme socio-discursif, Lausanne – Paris, Delachaux et Niestlé.

Pour des propositions didactiques sur les genres oraux formels de l’école :

DOLZ, J. & SCHNEUWLY, B. (1998) : Pour un enseignement de l’oral : initiation aux genres formels à l’école, Paris, ESF.

Reste encore à définir le type d’activités concrètes auquel ce travail préalable d’analyse doit finalement permettre d’aboutir en salle de classe. Ce sera l’objet du prochain post.

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