L’anglais et l’université

… ou la question des langues dans ses rapports au savoir et à son élaboration …

Fort émoi ces jours-ci en France à cause du projet de loi sur l’enseignement supérieur qui sera défendu par la ministre Geneviève Fioraso à partir du 22 mai. Son article 2 prévoit quelques exceptions au principe selon lequel « la langue de l’enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d’enseignement est le français » (loi Toubon de 1994). D’après cet article 2, les universités françaises pourraient assurer des enseignements dans une langue étrangère, en anglais notamment.

Fort émoi, dans un passé récent (2012), quand une question similaire a agité l’opinion publique italienne.

Sans intention aucune d’entrer dans le débat français, il importe, je crois, de prendre position.

Que les langues étrangères  – et notamment l’anglais – soient de plus en plus importantes pour les études et pour la vie professionnelle relève désormais du lieu commun. Qu’il faille se donner les moyens de bien les enseigner et de bien les apprendre il n’y a même pas à en discuter.

Je confesse que je suis très envieuse quand je regarde certaines bibliographies de chercheurs plurilingues et que je les vois jongler avec aisance au milieu de références en français, en allemand et en anglais (cela est très fréquent, par exemple, en Suisse et au Luxembourg). Je sens là un terrain de réflexion plus fécond, plus diversifié, plus riche par ses arrière-plans culturels . Alors que je trouve désolantes certaines bibliographies, provenant du monde anglo-américain, vastes comme des océans, mais égales comme des déserts, ignorant des références européennes qui pourraient apporter des nuances, quelque peu de variété et une autre profondeur aux points de vue exprimés dans les textes qu’elles accompagnent. Quand j’ai la chance de rencontrer, au cours de mes lectures, des chercheurs anglo-américains – et, heureusement, bien que très rares, il y en a – qui, connaissant nos références, savent en faire une synthèse avec les leurs, je jubile de plaisir intellectuel.

Les langues nationales (mais je ne peux m’empêcher d’ajouter aussi les langues régionales et minoritaires) sont là pour permettre l’élaboration la plus approfondie, la plus connotée culturellement, la plus idiosyncrasique des savoirs, la plus ancrée dans les traditions académiques et épistémiques. Les connaissances sont aussi le résultat de la langue qui les forge, des formes qu’elle lui donne, de la couleur et de l’épaisseur qu’elle lui confère: ils portent sa marque, son sceau. Ce serait vraiment un grand dommage que la pensée humaine ne se coule que dans un moule unique dans lequel seule une partie de l’humanité se sentirait à son aise.

Bien sûr, il faut que les scientifiques communiquent entre eux et que les savoirs élaborés localement s’interconnectent, se complètent et s’enrichissent mutuellement. Les langues étrangères sont là pour que ces savoirs transitent d’une  communauté scientifique à une autre. En ce sens, la traduction demeure le moyen privilégié pour consentir le transfert le plus large et le plus étendu des connaissances sans que la richesse culturelle de leur conception originelle ne se perde.

Quant à la formation en langues des futurs chercheurs, à côté de l’apprentissage, aussi approfondi et réaliste que possible, d’autant de langues qu’ils le désirent, il serait sage de les sensibiliser à l’intercompréhension de groupes de langues pour qu’ils puissent cueillir les savoirs dans leur saveur d’origine. L’apprentissage de la lecture en intercompréhension est sans doute dans ce domaine plus facilement et utilement réalisable qu’une maîtrise – plus ou moins aboutie – sur l’ensemble des activités langagières.

Pour aller plus loin …

Pour un argumentaire bien développé de l’importance fondamentale de ne pas se mettre tous au tout-anglais et de préserver la diversité linguistique et culturelle dans le monde scientifique et académique, voir ici même la conférence de Dominique Wolton, directeur de l’Institut des sciences de la communication du CNRS (événement : Communication et mondialisation. Les limites du tout-anglais – Intervention inaugurale Mercredi 14 novembre 2012 09:10 – 09:40).

Concernant l’intercompréhension, voici quelques lectures:

Délégation générale de la langue française et des langues de France (2006) : L’intercompréhension entre langue apparentées, Références, 12 p.

DOYÉ, P. (2005) : L’intercompréhension, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 23 p.

ESCUDÉ, P. et JANIN, P. (2010) : Le point sur l’intercompréhension, clé du plurilinguisme, Paris, Clé International, 122 p.

Et si quelqu’un est tenté par l’intercompréhension, l’Association pour la Promotion de l’InterCompréhension des langues (APIC) est là pour vous aider.

2 réflexions au sujet de « L’anglais et l’université »

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