A un moment où le débat fait rage en France autour de la question de l’anglais comme vecteur d’enseignement dans les établissements d’enseignement supérieur (par rapport auquel j’ai déjà pris position ici même), je suis tombée, au cours d’une lecture, sur un passage fort intéressant qui peut fournir de solides arguments psycholinguistiques en faveur d’un report de l’étude de l’anglais au-delà de l’école primaire.
Je soumets volontiers la citation ci-dessous à la réflexion de qui voudra. Surtout à l’intention des Pays qui seraient tentés par le « tout-anglais » et tout particulièrement de ceux, dont le mien, l’Italie, qui ont déjà succombé à la tentation du choix du seul anglais introduit précocement à l’école élémentaire. Parce que « non è mai troppo tardi » pour revenir sur les erreurs faites …
Les linguistes s’accordent […] à considérer que l’anglais est une langue très difficile, et que rien (sinon son poids économique) ne peut justifier qu’on en fasse la langue privilégiée pour un enseignement précoce. Le psycholinguiste sait de plus que l’anglais est une langue particulièrement confuse pour ce qui concerne la correspondance grapho-phonologique :
en clair, une même suite de lettres peut se prononcer de plusieurs façons très différentes, et une même prononciation peut avoir plusieurs écritures. Même si la langue écrite ne constitue évidemment pas l’objectif de l’enseignement d’une langue à l’école élémentaire, les occasions qu’aura l’enfant de rencontrer de l’anglais écrit ne peuvent que constituer des difficultés supplémentaires de son approche de l’écrit, qui seraient très secondaires s’agissant de beaucoup d’autres langues! Ne pourrait-on pas différer enseignement de cette langue – outil évidemment indispensable, mais dont l’intérêt dans un enseignement précoce est extrêmement discutable?
[…]
Le caractère utilitaire du choix de l’anglais constitue à nos yeux un piège. Il centre l’attention du maître, des élèves, des parents, sur la réalisation d’un objectif immédiat. Sauf à envisager la mise en œuvre de dispositifs d’exposition massive à la langue, comme nous l’avons vu à propos des pédagogies d’immersion, l’apprentissage d’une langue est un processus lent, qui implique que l’on ait une vue précise des différentes étapes qui peuvent le constituer. Son enseignement à l’école élémentaire ne peut être conçu uniquement au regard d’objectifs simples et immédiats. Les objectifs à prendre en compte sont beaucoup plus larges […] que celui de la maîtrise des éléments basiques qui permettent la communication dans une langue outil. Les effets réels d’un enseignement précoce […] relèvent beaucoup plus du long terme que du court ou du moyen terme. La référence à l’anglais, avec son actuel statut massif de langue outil (qui va se souvenir bientôt que l’anglais est aussi une langue de culture?), n’est pas la meilleure que l’on puisse trouver à cet égard.
GAONAC’H, D. (2006): L’apprentissage précoce d’une langue étrangère – Le point de vue de la psycholinguistique, Paris, Hachette Education, p. 156-157
Je révélerai prochainement le titre que l’auteur de cette citation avait donné à ce paragraphe et la proposition alternative qu’il a faite.
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